SÉRIE - Fiscalité environnementale au Burkina FasoUne intention ambitieuse et bien orientée qui peine pourtant à devenir réalité
La dégradation de l’environnement et ses effets sont devenus des enjeux majeurs dans tous les pays du globe. Au Burkina Faso, ces dommages environnementaux sont estimés annuellement à environ 20 % du PIB [NDLR : en 2019, le PIB du Burkina était de 16,18 milliards USD – Source : PIB ($ US courants) - Burkina Faso | Data (banquemondiale.org)]. Les impacts négatifs touchent particulièrement les ménages les plus pauvres dont les revenus sont liés à l’agriculture, l’élevage et les ressources naturelles en général.
Depuis plus de 10 ans, le pays a adopté une série de documents-cadres énumérés dans sa « Politique nationale de développement durable ». Les principes qu’elle consacre incluent notamment l’équité intergénérationnelle, la prise en compte du genre et l’internalisation des coûts. Ces engagements politiques visent à mieux protéger l’environnement, limiter la pollution et prévenir la dégradation des ressources naturelles. Des études sont lancées pour les mettre en œuvre.
Camion qui rejette de la fumée © LuxDev | BKF
L’écofiscalité comme levier ?
La fiscalité est un puissant instrument financier pour faire face aux enjeux de développement d’un pays. Ainsi, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne cesse d’encourager ses États membres à accroître la pression fiscale dont le niveau est faible, notamment en développant une fiscalité environnementale (ou écofiscalité) adaptée.
L’écofiscalité, c’est l’ensemble des mesures fiscales visant à mieux prendre en compte dans le prix final d’un bien, les coûts indirects (les « externalités ») que génèrent la production et la consommation de ce bien. Contrairement à la fiscalité « classique », l’écofiscalité amène les contribuables à adopter un comportement écoresponsable, et ce indépendamment des recettes qu’elle génère. Pour cela, elle s’organise autour d’instruments contraignants, dissuasifs et incitatifs que sont les taxes et les subventions. Par exemple, la taxe sur les produits pétroliers ajoutée au prix de l’essence prend en compte la pollution de l’air générée par la combustion de l’essence du véhicule. C’est le principe du « pollueur-payeur ».
Toutefois, les orientations de la fiscalité sont le fruit d’arbitrages politiques. Par conséquent, l’écofiscalité n’offre pas toujours les meilleures réponses. Les populations et leur environnement s’en trouvent impactés.
Le ministère de l’Environnement, de l’Économie Verte et du Changement Climatique, ministère en charge de l'environnement au Burkina Faso, a effectué en décembre 2019 un état des lieux de la fiscalité environnementale afin de la réformer. Cet état des lieux a dressé l’inventaire des taxes existantes et des conditions de leur mise en œuvre. Il a permis de comprendre comment fonctionne l’écofiscalité actuelle du Burkina. Les résultats indiquent que cette fiscalité a généré 20 % des recettes de l’État en 2019 (soit 526 M EUR), dont 48 % proviennent du secteur minier et 45 % de celui de l’énergie. Les autres ressources (eau, forêt, chasse et pêche) et les secteurs pollution/déchets restent taxés de façon marginale. L’analyse qui suit en montre les raisons.
Trafic à Ouagadougou © LuxDev | BKF
Fiscalité disparate, imparfaite et… injuste
En matière d’écofiscalité, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a groupé les secteurs d’activités en quatre catégories : l’énergie, les transports, les ressources naturelles et les déchets. Au Burkina Faso, il existe un grand déséquilibre entre ces secteurs.
Le secteur de l’énergie comprend la taxation de tous les carburants, du gaz et du charbon de bois. En 2019, il représentait 44,5 % des recettes de l’État. On découvre que le moins polluant des carburants, c’est-à-dire l’essence, est davantage taxé que le gasoil ou le fuel-oil qui sont, de surcroît, utilisés en plus grandes quantités. De même, le gaz butane, proposé comme alternative au bois-énergie ou au charbon, peine à pénétrer le marché national, et ce malgré l’exonération de TVA et de droit de douane sur cette énergie. Pourquoi l’État renonce-t-il à ces taxes ? La raison en est éminemment politique ! Les plus gros consommateurs de gasoil sont les véhicules diesel qui, pour la plupart, sont les 4x4 de ville que s’achètent les fonctionnaires et autres cadres. C’est une catégorie économiquement importante pour le pays, et donc assez choyée. A contrario, l’essence n’est utilisée que dans les motos. L’État fait ainsi le choix d’aider ceux qui sont déjà les plus nantis. C’est évidemment un choix, mais aussi une logique étrange, car elle prive l’État d’un montant substantiel. L’étude a ainxi évalué qu’en alignant la taxe sur les produits pétroliers actuelle de l’essence sur celle du gasoil, l’État engrangerait une recette fiscale supplémentaire de 52,7 milliards de francs CFA.
Le secteur des transports, quant à lui, comprend plusieurs taxes, dont la taxe sur les véhicules importés et la taxe sur les véhicules à moteur (TVM), en fait, les véhicules en circulation. Le secteur contribue pour 7 % aux recettes. Toutefois, un certain nombre d’incongruités sont constatées dans l’état des lieux. Tout d’abord, la TVM sur les deux-roues ne peut être collectée car elle a déjà entraîné des soulèvements et manifestations importantes. Cette situation traduit le décalage entre la façon dont ces taxes sont élaborées et décidées et la façon dont elles sont expliquées à la population. Ensuite, la TVM sur les voitures est également un casse-tête car il n’existe pas d’informations sur les véhicules déclassés et hors d’usage, ce qui complique le recouvrement escompté de cette taxe. Enfin, la taxe douanière sur les véhicules importés est un pourcentage de la valeur de vente du véhicule. On comprend aisément que cette mesure oriente les acheteurs vers les véhicules les moins chers, c’est-à-dire les véhicules d’occasion, pourtant plus vieux et plus polluants que les neufs. Voilà encore une incohérence qui génère de la pollution touchant directement la santé publique et qui prive l’État d’une rentrée fiscale non négligeable de plusieurs milliards de francs CFA.
Divers types de véhicules au centre-ville de Ouagadougou © LuxDev | BKF
Le secteur des ressources naturelles comprend la gestion des mines et carrières, de l’eau, de la ressource sylvicole, des ressources animales et halieutiques. Il contribue pour 48,5 % aux recettes, mais 48 % d’entre elles proviennent du seul secteur des mines. On pourrait croire que les autres composantes de ce secteur ne sont pas taxées. Pourtant l’exploitation forestière, par exemple, est frappée d’une dizaine de taxes dont le calcul et l’assiette1 sont si compliqués que le Receveur Spécialisé des Impôts du ministère de l’Environnement ne parvient à en donner qu’une valeur agrégée, car la collecte sur le terrain ne sait pas les distinguer. En conséquence, ces défauts d’information sur la forêt, mais également sur la consommation de pesticides, les ressources animales et halieutiques ne permettent pas une taxation adaptée. On aboutit ainsi à un paradoxe : en ne parvenant pas à taxer fortement sa forêt parce qu’elle est une ressource rare et de très haute valeur, le Burkina continue de la dévaloriser et d’en accélérer la surexploitation en l’absence d’alternative sérieuse en matière d’énergie. Le cas de l’eau est également éclairant. L’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) paie l’eau brute exhaurée 1 FCFA le mètre cube, tandis que le prix plancher de vente est de 188 FCFA dans un système de tarif progressif selon la consommation. L’étude montre que l’ONEA ne dégage pourtant que très peu de profit car, après traitement de l’eau, près de 19 % de cette eau est perdue2 dans le réseau à cause de fuites diverses, soit 16,90 millions de mètres cubes sur 87,61 millions de mètres cubes d’eau traitée, laquelle provient de 92,13 millions de mètres cubes d’eau brute exhaurée.
Enfin, le secteur des déchets/pollution est tout fait marginal, en raison notamment de quelques textes non encore appliqués à propos des polluants et d’une base de taxation insuffisante sur les sachets plastiques.
Inventaire et recettes des mesures écofiscales du Burkina Faso (scénario actuel)
Le tableau suivant montre la répartition des 50 mesures écofiscales selon les quatre catégories préconisées par l’OCDE (nomenclature adoptée internationalement), ainsi que leurs recettes qui représentent 20 % des recettes propres de l’État. On y constate notamment une grande disparité entre les catégories (ex. ressources [48,3%] vs déchets [0,2%]), mais aussi au sein même d’une même catégorie (écotaxes liées aux ressources minières [47,9%] vs à la forêt ou à l’eau [0,2%]).
En conclusion
Le Burkina Faso poursuit la construction de son cadre juridique pour répondre aux divers engagements qu’il a pris en matière de développement durable, d’économie verte, de lutte contre le changement climatique et de fiscalisation de ses secteurs de production.
Il a également initié un certain nombre de taxes pour traduire ses engagements environnementaux. Pourtant, les pertes fiscales ou incohérences évoquées ci-avant dans le domaine de l’environnement relèvent toutes de choix politiques qui soulignent la marge de progression nécessaire dans les décisions politiques pour également accompagner les changements de comportements au sein de la société.
Faire évoluer la compréhension de la portée politique de ces choix impose de mieux maîtriser la puissance de l’outil fiscal dans l’élaboration des scenarii les mieux à même de concilier réalité socioéconomique et contraintes environnementales et climatiques.
C’est ce que proposera le prochain article « Prise de conscience d’un outil puissant autant que dangereux, ou la maîtrise des scénarii ».
Véhicules polluants et moins polluants © LuxDev | BKF
1 Une assiette fiscale est un montant qui sert de base au calcul d'un impôt ou d'une taxe. Le montant de l'impôt qui est dû est, le plus souvent, obtenu en multipliant l'assiette par un taux. Par exemple, pour l'impôt sur le revenu des individus, l'assiette fiscale est la somme des revenus et des bénéfices imposables. Source : Assiette fiscale – Wikipédia (wikipedia.org).
2 Lors de l’étude, l’ONEA n’a pu fournir des données complètes que sur l’année 2016.
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